Le pont

Le bac

Afin de faciliter les liaisons entres les plateaux de Roulans et de Bouclans, la traversée du Doubs à Laissey s’effectuait grâce à l’utilisation d’un bac mu à la rame ou, dans les derniers temps, guidé par un câble. Quelques ponts en bois ou en pierres existaient à Baume-les-Dames et à Besançon, mais cela nécessitait un détour de plusieurs heures.

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Carte de Cassini, établie au milieu du 17ème siècle, et portant la mention “Bac” à Laissey. 

NDLR : On peut penser que le bac était situé entre le site de l’entreprise BGI actuel et La Chevanne… mais sans certitude, faute d’archives et de photos… Il permettait de traverser le Doubs pour rejoindre le plateau de Champlive en empruntant l’ancienne voie de communication dite ‘’Vieille Côte’’.

Au début du 16ème siècle, le pont à péage de Baume-les-Dames était l’un des principaux points de passage du Doubs en Franche-Comté, car il était situé sur la route de l’Italie aux Flandres. De construction fragile, il fut emporté par la débâcle et les glaces et ce n’est quand 1522, sous le règne de Marguerite d’Autriche, qu’il fut reconstruit, non plus en bois, mais en pierres.

En 1804, seulement vingt-cinq ponts étaient dénombrés sur le Doubs et aucun entre Baume-les-Dames et le quartier de Bregille à Besançon.

Le pont suspendu

Afin de remplacer le bac de la Chevanne, trop sujet aux variations d’humeur du Doubs, un décret impérial du 30 juin 1869, signé à Saint-Cloud, déclara d’utilité publique la construction d’un pont suspendu à Laissey. Le village se trouvait alors sur la route de Grande Circulation n° 30, de Rioz à Vercel. Après adjudication du 20 novembre 1873, les travaux ont été pris en charge par une société concessionnaire qui se substituait ainsi aux droits de l’Etat.
D’une longueur de 81 mètres, son procès-verbal d’épreuve fut signé le 6 juin 1876. Jugé apte pour le service, il fut ouvert à la circulation le 8 juillet. 

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Le décret précisait la répartition du coût de construction entre les différents partenaires ainsi que le montant des différentes subventions “obligatoires” : 

subventions accordées par l’Etat : 30 000frs

subventions accordées par le département : 30 000frs

subventions accordées par les communes intéressées : 40 000 frs 

société concessionnaire : 25 000frs

total de la dépense de construction : 125 000frs

En avril 1868, le Conseil municipal de Laissey vota une allocation de 8 000 francs pour la réalisation des travaux. Or, avec la diminution des activités minières et de tissage, la commune ne put tenir ses engagements. En 1874, l’agent voyer* réclama le versement d’une somme de 4 000 francs. En 1875, un arrêté préfectoral imposa à la commune d’ouvrir un crédit de 2 800 francs. Lors du Conseil municipal du 14 août de la même année, les membres répondirent au préfet qu’ils ne pouvaient ouvrir aucun crédit, car la commune “n’a pu d’argent et ne sait où en prendre”.
Enfin, lors de la réunion du Conseil municipal du 26 juin 1884, il fut demandé au préfet de proposer au Conseil général de bien vouloir libérer la commune de la somme de 4 000 francs demandée en 1874 et qui n’avait toujours pas été payée, car “le maire ne voit ni dans le présent ni dans l’avenir la possibilité pour la commune de se libérer de cette somme”.

* agent voyer : officier préposé à la police des chemins et à celle des rues.

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Un péage

Afin de rentrer dans ses frais de construction et d’entretien des installations, la société privée prélevait un droit de passage. La concession du pont était prévue pour une durée de 14 ans moins un jour à partir de la date d’ouverture à la circulation au public. Le péage rapportait un bénéfice annuel net d’environ 1 200 francs. L’exploitation du pont était rentable et atteste de son importance et de sa pertinence sur cet axe routier.
Les tarifs, fixés par le décret du 30 juin 1869 et confirmé par un arrêté préfectoral du 23 juin 1876, étaient les suivants :

une personne à pied chargée ou non : 5 cts

un cheval ou un mulet avec son cavalier : 15 cts

chaque mouton, brebis, agneau, bouc ou chèvre : 1 cts

un cochon : 2 cts

un âne chargé ou non : 2 cts

un cheval ou un mulet non chargé : 5 cts

tout animal de l’espèce bovine : 5 cts

un cheval ou un mulet chargé : 10 cts

chaque conducteur d’animaux : 5 cts

Note : les droits sont réduits d’un quart lorsque le nombre d’animaux
de la même espèce et appartenant au même propriétaire dépasse cinquante

une voiture suspendue à deux rouesattelée d’un cheval ou d’un mulet : 40 cts

une voiture suspendue à quatre rouesattelée d’un cheval ou d’un mulet : 50 cts

chaque cheval ou mulet attelé en sus : 20 cts

chaque conducteur de voiture et chaque personne voyageant sur ladite voiture : 5 cts

un chariot ou une carriole chargés ou non attelés d’un âne :
5 cts

une charrette, un chariot, une carriole ou un tombereau non chargés attelés d’un cheval ou d’un mulet ou de deux ânes
ou de deux boeufs ou de deux vaches : 10 cts

les mêmes voitures avec les mêmes attelages chargées :
20 cts 

chaque cheval ou mulet, chaque paire d’ânes, de boeufs ou de vaches attelés en sus à une voiture non chargée : 5 cts

chaque cheval ou mulet, chaque paire d’ânes, de boeufs ou de vaches attelés en sus à une voiture chargée : 10 cts

chaque conducteur de voiture et chaque personne voyageant sur ladite voiture : 5cts

Etaient exemptés des droits de péage :
• le préfet, le sous-préfet ainsi que leurs gens et leurs voitures.
•les ministres des différents cultes reconnus par l’Etat, les magistrats dans l’exercice de leurs fonctions et leurs greffiers.
• les ingénieurs et les conducteurs des ponts et chaussées, les agents voyers et les cantonniers dans l’exercice de leurs fonctions.
• les employés des contributions indirectes, les agents forestiers et les agents des douanes dans l’exercice de leurs fonctions.
• les employés des lignes télégraphiques dans l’exercice de leurs fonctions.
• les commissaires de police, les gardes champêtres et les gendarmes dans l’exercice de leurs fonctions.
• les militaires de tout grade voyageant en corps ou séparément, en possession d’une feuille de route dans ce dernier cas.
• les courriers du gouvernement, les malles-poste et les facteurs ruraux faisant le service des postes.
• les pompiers et les personnes qui, en cas d’incendie, iraient porter secours d’une rive à l’autre ainsi que le matériel nécessaire.
• les élèves allant à l’école ou à l’instruction religieuse ou en revenant.
• les prestataires avec leurs attelages se rendant sur les chantiers des chemins vicinaux ou en revenant.
• les prévenus, accusés ou condamnés conduits par la force publique ainsi que leur escorte.
D’autre part, il était défendu :
• de courir ou de trotter sur le pont.
• de remuer les câbles, les tiges et les garde-corps ou de s’y suspendre.
• d’y séjourner.
• d’y traîner des charges ou instruments aratoires dont le frottement sur le pont pouvait en altérer le tablier.
• de faire passer les animaux sur les trottoirs.

Dans un premier temps, un bâtiment en bois construit côté Laissey permettait la perception de l’obole auprès des généreux donateurs.

 

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Le pont suspendu : à gauche, avant l’entrée, le bureau de péage. 

Plus tard, côté Champlive, une maison fut construite afin d’y loger à demeure le péager et sa famille, notamment M. Troncin, dit le Père Batti, pour le plus connu d’entres eux. Elle fut détruite à la fin des années 1960 lors de la construction du pont actuel.

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Le pont suspendu : à droite, la maison du péager. 

La nationalisation

Suite à une loi du 30 juillet 1880, le Ministère de l’intérieur racheta en 1883 à la société concessionnaire le pont pour un montant de 6 500 francs. Décidé par une circulaire ministérielle du 15 avril 1882, le décret de déclaration d’utilité publique fut publié le 8 mars 1883.

Son coût de rachat fut réparti ainsi :

nombre d’années restant à courir : 7 ans

indemnité de rachat : 6 500 frs

montant payé par le département : 4 330 frs

montant payé par les communes intéressées : –

montant payé par l’Etat : 2 170 frs

Bien que désormais propriété de l’Etat, le péage devait toujours être acquitté.
Très rapidement, le pont suspendu devint obsolète. A voie unique et d’une largeur réduite, il présentait des difficultés pour le transit des grosses pièces d’artillerie vers le camp militaire du Valdahon qui avait pris beaucoup d’importance. En effet, à cette époque, la frontière avec l’Allemagne était à moins d’une centaine de kilomètres suite à l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine par l’Empire allemand.

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Le pont suspendu : à gauche, la maison du péager.
Chaque colonne portait la mention “Défense de trotter sur le pont”. 

L’ancien pont

Lors de la séance du soir du 26 avril 1911, le Conseil général du Doubs étudia quatre propositions émises par le service vicinal en vue de remplacer le pont suspendu : 

Projet Points positifs

Points négatifs

Pont suspendu Giscla – système plus avantageux que l’actuel.

– coût de réalisation.

– souhait de ne pas remplacer le pont suspendu par un autre.

– économie financière jugée insuffisante pour motiver ce choix.

Pont métallique d’une seule portée – esthétique.

– coût de réalisation élevé.

Pont à trois solidaires

(à trois arches)

– projet préféré par le service vicinal.

-solution technique présentant le plus de garanties.

– esthétique.

– projet le plus coûteux ( 160 000 francs).

– risques de retenue d’eau en cas d’inondations à cause des trois piles.

Pont en béton armé à voie large – esthétique.

– coût de réalisation.

– largeur de la chaussée.

– côté novateur de la solution technique pour l’époque, certains ponts en béton armé s’étant écroulés.

Après délibération et quelques interventions sur la dangerosité de l’utilisation du béton armé eu égard aux problèmes apparus lors de précédentes réalisations, la dernière solution fut retenue et les travaux de construction d’un pont moderne en béton armé commencèrent en 1913. Conçu par l’architecte Surleau, il fut inauguré seulement en 1923 du fait des vicissitudes de la Première Guerre mondiale. Avec ses superbes arches, il passait pour l’un des plus beaux ouvrages de la région. Et, cerise sur le gâteau, il était devenu libre d’accès. 

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L’ancien pont

Le pont suspendu fut détruit durant cette période et, à nouveau, un bac permit de passer d’une rive à l’autre. Le préposé à la manœuvre était le même que pour le pont suspendu : le Père Batti.
Sa construction ne fut pas de tout repos, notamment en 1913 à cause de fortes inondations. Le 13 novembre à une heure du matin, une péniche chargée de 40 tonnes de marchandises fut emportée. Le 15 novembre, ce fut au tour de l’un des échafaudages construit pour couler une des piles du pont. Des madriers arrivèrent jusqu’à Besançon et détruisirent la barque lavandière La Comtoise. En quelques jours, l’entrepeneur perdit 20 000 francs auxquels il faut ajouter 15 à 20 000 francs de dégâts à Besançon. 

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La construction de l’ancien pont, en particulier le coffrage des deux piles. 

BOOM

En septembre 1944, afin de couvrir leur retraite vers la frontière suisse, les soldats allemands firent exploser la moitié du pont, côté Laissey, à l’aide d’un canon de 75. La 11ème Panzer division avait alors rétabli la liaison avec le groupement n° 110. Le même traitement fut infligé au pont de Vaire-Arcier. 

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L’ancien pont détruit en 1944.

En attendant d’éventuels travaux, les habitants firent encore une fois appel à un bac pour rétablir la circulation entre les deux parties du canton.
Puis, le génie américain fit une réparation de fortune et provisoire (qui persista 25 ans…) en reliant les deux rives à l’aide d’une passerelle en bois. Il fit partie des ponts qui, disait-on, “faisaient du bruit”, la moindre secousse faisant craquer toute l’ossature à chaque passage d’un véhicule. 

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L’ancien pont avec sa passerelle en bois.

A nouveau obsolète

Après la Seconde guerre mondiale, face à l’accroissement de la circulation et aux tonnages transportés, le pont devint à nouveau obsolète. La structure en bois ne pouvait supporter que des véhicules d’un poids maximal de seize tonnes. Sa largeur n’était pas plus adaptée et il était impossible pour deux voitures de se croiser. Et, construit perpendiculairement à la rivière, son accès côté Champlive était dangereux à cause du virage à 90 degrés le reliant à la route.

Le pont actuel

En 1945, 126 ponts étaient à reconstruire sur le Doubs. Celui de Laissey fut l’antépénultième à être réalisé, juste avant ceux de Chalèze et de Vaire-Arcier, qui sont d’une architecture identique.
En mars 1968, les travaux débutèrent. Construit en béton précontraint avec deux coulées et une pile centrale sur lesquelles reposent deux travées, il fait six mètres de large et possède deux trottoirs d’un mètre de large chacun. Ses dimensions généreuses étaient prévues dans la perspective de la réalisation du canal à grand gabarit du Rhône au Rhin.

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Le pont actuel (15 mai 2005).

Afin de maintenir la circulation sur cet axe important, l’ancien pont fut conservé pendant les travaux et le nouveau construit juste à côté. Contrairement à son prédécesseur, il fut construit légèrement en biais par rapport à la rivière. Cette solution économiquement plus onéreuse, car sa longueur en était augmentée, permit de diminuer la dangerosité de l’accès côté Champlive. Bien qu’en hiver, ce virage réserve toujours bien des surprises aux automobilistes trop pressés.
Anecdote : le premier travail des ouvriers fut de consolider l’ancien pont avant de débuter les travaux du nouveau.

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Le pont actuel (9 octobre 2005).

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Le pont actuel (2 avril 2005).

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Les derniers travaux de réfection

Entre le 24 octobre et le 9 décembre, le pont de la RD 30 qui traverse le Doubs à Laissey a été restauré. Cet élément du patrimoine routier départemental a fait l’objet d’un lifting très complet pour lui permettre de continuer à supporter un trafic quotidien de 1000 véhicules.
Les travaux, dont le montant total s’élève à 260 000 € TTC, ont été complétés par l’amélioration du profil et du revêtement de la chaussée, l’installation d’un dispositif de retenue avec des bordures hautes. Ceci afin de résorber le problème de trajectoire dans le sens Champlive-Laissey, lieu d’accidents réguliers.
Pour une telle opération, l’ensemble des travaux a compris : le rabotage de la couche de roulement sur l’ouvrage, le démontage des trottoirs, le nettoyage de l’étanchéité sous les trottoirs et la chaussée, la réalisation de la couche de roulement, la reprise des relevées d’étanchéité sur les longrines (poutres), la réalisation des bordures, le remplissage des trottoirs, le nettoyage des corniches dans leur partie horizontale, la pose des joints de chaussée, la dépose et repose du garde-corps.

LE PONT SOULEVÉ D’UN BLOC

Une partie importante de l’opération consistait dans le vérinage du pont afin d’en changer les appareils d’appui : l’ouvrage complet a été soulevé au moyen de vérins hydrauliques.
Le pont est resté en circulation pendant les travaux, y compris pendant le vérinage. Plusieurs entreprises, dont certaines très spécialisées se sont succédé pour mener à bien ce chantier : Clivio (entreprise de génie civil, mandataire des travaux) TSV (vérinage), RCA (joint de chaussée), Comely (garde corps), Roger-Martin (couche de roulement), Profil06 (bordures extrudées), Hipojet (hydro démolition des bossages). Le tout sous maîtrise d’œuvre et d’ouvrage du Conseil général.

L’opération de vérinage

C’est à elle seule un chantier dans le chantier. Vu la configuration de l’ouvrage d’art, plusieurs phases ont été nécessaires. Elles ont été conduites par l’entreprise TSV. Pour chaque culée et avant l’opération de vérinage proprement dite, les opérations ont été les suivantes : un perçage de la coulée pour réaliser la console de vérinage, le scellement des barres de précontrainte dans les culées, toujours pour cette console de vérinage, le coffrage et le coulage des supports pour les vérins hydrauliques, pour passer, enfin, au vérinage assisté par ordinateur en tant que tel. Ce dernier a permis de soulever la travée de 750 tonnes d’environ 1,5 cm pour permettre de retirer les appareils d’appui usagés, avant de repositionner la travée à son hauteur initiale.

L’hydrodémolition

Suite à cette opération, et avant la mise en place des nouveaux appareils d’appui, l’entreprise Hipojet a pris le relais. Elle compte parmi les trois spécialistes français de l’hydrodémolition et de ses applications. Cette technique encore peu répandue en France permet de pulvériser le béton sans abimer la ferraille ni faire de fissures, ni abimer la matière en profondeur puisqu’il n’y a pas d’onde de choc. L’entreprise a donc procédé au nettoyage de la surface de contact entre les piles et la travée ainsi qu’à l’hydrodémolition des bossages (petites plates-formes sur lesquelles reposent les appareils d’appui). Ceux-ci étant par la suite refaits à neuf avant d’accueillir les nouveaux appareils d’appui prévus pour durer à leur tour une trentaine d’années.



Source : bulletins municipaux